martes, 11 de noviembre de 2008

La obra maestra desconocida

Pablo Picasso:Les Demoiselles d'Avignon
La Comédie humaine
Études philosophiques
Le Chef-d’œuvre inconnu
À UN LORD...1845.
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II.Catherine Lescault
En proie à une vive curiosité, Porbus et Poussin coururent au milieu d'un vaste atelier couvert de poussière, où tout était en désordre, où ils virent çà et là des tableaux accrochés aux murs. Ils s'arrêtèrent tout d'abord devant une figure de femme de grandeur naturelle, demi-nue, et pour laquelle ils furent saisis d'admiration.
-- Oh ! ne vous occupez pas de cela, dit Frenhofer, c'est une toile que j'ai barbouillée pour étudier une pose, ce tableau ne vaut rien. Voilà mes erreurs, reprit-il en leur montrant de ravissantes compositions suspendues aux murs, autour d'eux.
A ces mots, Porbus et Poussin, stupéfaits de ce dédain pour de telles œuvres, cherchèrent le portrait annoncé, sans réussir à l'apercevoir.
-- Eh ! bien, le voilà ! leur dit le vieillard dont les cheveux étaient en désordre, dont le visage était enflammé par une exaltation surnaturelle, dont les yeux pétillaient, et qui haletait comme un jeune homme ivre d'amour. -- Ah ! ah ! s'écria-t-il, vous ne vous attendiez pas à tant de perfection ! Vous êtes devant une femme et vous cherchez un tableau. Il y a tant de profondeur sur cette toile, l'air y est si vrai, que vous ne pouvez plus le distinguer de l'air qui nous environne. Où est l'art ? perdu, disparu ! Voilà les formes mêmes d'une jeune fille. N'ai-je pas bien saisi la couleur, le vif de la ligne qui paraît terminer le corps ? N'est-ce pas le même phénomène que nous présentent les objets qui sont dans l'atmosphère comme les poissons dans l'eau ? Admirez comme les contours se détachent du fond ! Ne semble-t-il pas que vous puissiez passer la main sur ce dos ? Aussi, pendant sept années, ai-je étudié les effets de l'accouplement du jour et des objets. Et ces cheveux, la lumière ne les inonde-t-elle pas ?... Mais elle a respiré, je crois !... Ce sein, voyez ? Ah ! qui ne voudrait l'adorer à genoux ? Les chairs palpitent. Elle va se lever, attendez.
-- Apercevez-vous quelque chose ? demanda Poussin à Porbus.
-- Non. Et vous ?
-- Rien.
Les deux peintres laissèrent le vieillard à son extase, regardèrent si la lumière, en tombant d'aplomb sur la toile qu'il leur montrait, n'en neutralisait pas tous les effets. Ils examinèrent alors la peinture en se mettant à droite, à gauche, de face, en se baissant et se levant tour à tour.
-- Oui, oui, c'est bien une toile, leur disait Frenhofer en se méprenant sur le but de cet examen scrupuleux. Tenez, voilà le châssis, le chevalet, enfin voici mes couleurs, mes pinceaux.
Et il s'empara d'une brosse qu'il leur présenta par un mouvement naïf.
-- Le vieux lansquenet se joue de nous, dit Poussin en revenant devant le prétendu tableau. Je ne vois là que des couleurs confusément amassées et contenues par une multitude de lignes bizarres qui forment une muraille de peinture.
-- Nous nous trompons, voyez ?... reprit Porbus.
En s'approchant, ils aperçurent dans un coin de la toile le bout d'un pied nu qui sortait de ce chaos de couleurs, de tous, de nuances indécises, espèce de brouillard sans forme ; mais un pied délicieux, un pied vivant ! Ils restèrent pétrifiés d'admiration devant ce fragment échappé à une incroyable, à une lente et progressive destruction. Ce pied apparaissait là comme un torse de quelque Vénus en marbre de Paros qui surgirait parmi les décombres d'une ville incendiée.
-- Il y a une femme là-dessous, s'écria Porbus en faisant remarquer à Poussin les couches de couleurs que le vieux peintre avait successivement superposées en croyant perfectionner sa peinture.

LA COMEDIA HUMANA
Estudios filosóficos
La obra maestra desconocida
A un Lord...1845.
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II.Catherine Lescault
Movidos por una viva curiosidad, Porbus y Poussin se precipitaron hasta el centro de un amplio taller cubierto de polvo, donde todo estaba en desorden y en el que vieron, aquí y allá, cuadros colgados de las paredes. Se detuvieron, en primer lugar, ante una figura de tamaño natural, semidesnuda, ante la que quedaron llenos de admiración.
¡Oh!, dejen eso -dijo Frenhofer-, es una tela que he emborronado para estudiar una postura; ese cuadro no vale nada. He aquí mis errores -prosiguió, mostrándoles espléndidas composiciones suspendidas de las paredes de alrededor.
Ante estas palabras, Porbus y Poussin, estupefactos ante su desdén por tales obras, buscaron el retrato anunciado, sin conseguir descubrirlo.
-Pues bien, ¡aquí está! -les dijo el anciano, con los cabellos desordenados, con el rostro inflamado por una exaltación sobrenatural, con los ojos centelleantes y jadeando como un joven embriagado de amor-. ¡Ah, ah! -exclamó-, ¡no esperaban tanta perfección! Están ante una mujer y buscan un cuadro. Hay tanta profundidad en este lienzo, su atmósfera es tan real, que no llegan a distinguirlo del aire que nos rodea. ¿Dónde está el arte? ¡Perdido, desaparecido! He aquí las formas mismas de una joven. ¿No he captado bien el color, la viveza de la línea que parece delimitar el cuerpo? ¿No es el mismo fenómeno que nos ofrecen los objetos que se encuentran inmersos en la atmósfera como los peces en el agua? ¿Aprecian cómo los contornos se destacan sobre el fondo? ¿No les parece que podrían pasar la mano por esa espalda? Y es que durante siete años he estudiado los efectos del encuentro de la luz con los objetos. Y estos cabellos, ¿no están inundados por la luz?... ¡Creo que ha respirado!... ¿Ven este seno? ¡Ah! ¿quién no querría adorarla de rodillas? Sus carnes palpitan. Está a punto de levantarse, fíjense.
-¿Ve usted algo? -preguntó Poussin a Porbus.
-No. ¿Y usted?
-Nada.
Los dos pintores dejaron al anciano en su éxtasis y comprobaron si la luz, al caer vertical sobre la tela que les mostraba, neutralizaba todos los efectos. Examinaron, entonces, la pintura, colocándose a la derecha, a la izquierda, de frente, agachándose y levantándose alternativamente.
-Sí, sí, es una pintura -les decía Frenhofer, equivocándose sobre la finalidad de este examen escrupuloso-. Miren, aquí está el bastidor y esto es el caballete; en fin, aquí están mis colores y mis pinceles.
Y tomó una brocha que les mostró con un gesto pueril.
-El viejo lansquenete se burla de nosotros -dijo Poussin volviendo ante el pretendido cuadro-. Aquí no veo más que colores confusamente amontonados y contenidos por una multitud de extrañas líneas que forman un muro de pintura.
-Estamos en un error, ¡mire!... -continuó Porbus.
Al acercarse percibieron, en una esquina del lienzo, el extremo de un pie desnudo que salía de ese caos de colores, de tonalidades, de matices indecisos, de aquella especie de bruma sin forma; un pie delicioso, ¡un pie vivo! Quedaron petrificados de admiración ante ese fragmento librado de una increíble, de una lenta y progresiva destrucción. Aquel pie aparecía allí como el torso de alguna Venus de mármol de Paros que surgiera entre los escombros de una ciudad incendiada.
-¡Hay una mujer ahí debajo! -exclamó Porbus señalando a Poussin las capas de colores que el viejo pintor había superpuesto sucesivamente, creyendo perfeccionar su obra.

La obra maestra desconocida
Honoré de Balzac

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